Notre campagne d’année  » la santé…A notre âge: Quel Défi! » nous invite à réfléchir et à méditer sur le prochain et nous propose un passage d’évangile très connu: le Bon Samaritain. Dans son encyclique « Fratelli Tutti » notre Pape François consacre le chapitre 2 en entier à ce passage de l’évangile. Qui est notre prochain? Que fait-on pour notre prochain? Sommes proches de notre prochain? Suis-je capable d’être le prochain de mon voisin? etc. Sujet très actuel, n’hésitons pas à lire ce qu’en dit François (texte ci-dessous)

 

« fratelli tutti » « tous Fères »  Encyclique du Pape François                                                                          DEUXIÈME CHAPITRE  –  UN ETRANGER SUR LE CHEMIN

  1. Tout ce que j’ai évoqué dans le chapitre précédent est plus qu’une description froide de la réalité, car « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur ».[53]À la recherche d’une lumière au milieu de ce que nous vivons, et avant de présenter quelques pistes d’action, je propose de consacrer un chapitre à une parabole racontée par Jésus-Christ il y a deux mille ans. Car, bien que cette lettre s’adresse à toutes les personnes de bonne volonté, quelles que soient leurs convictions religieuses, la parabole se présente de telle manière que chacun d’entre nous peut se laisser interpeller par elle.

« Et voici qu’un légiste se leva, et dit à Jésus pour l’éprouver : ‘‘Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?’’ Il lui dit : ‘‘Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ?’’ Celui-ci répondit: ‘‘Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même’’ ‘‘Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela et tu vivras’’. Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : ‘‘Et qui est mon prochain ?’’ Jésus reprit : ‘‘Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ?’’ Il dit : ‘‘Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui.’’ Et Jésus lui dit : ‘‘Va, et toi aussi, fais de même.’’ (Lc 10, 25-37).

L’arrière-plan

  1. Cette parabole illustre un arrière-plan de plusieurs siècles. Peu de temps après la narration de la création du monde et de l’être humain, la Bible présente le défi des relations entre nous. Caïn tue son frère Abel, et la question de Dieu résonne : « Où est [Abel], ton frère ? » (Gn4, 9). La réponse est la même que celle que nous donnons souvent : « Suis-je le gardien de mon frère ? » (ibid.). En posant cette question, Dieu met en cause tous les genres de déterminisme ou de fatalisme qui cherchent à justifier l’indifférence comme la seule réponse possible. Il nous dote, au contraire, de la faculté de créer une culture différente qui nous permet de surmonter les inimitiés et de prendre soin les uns des autres.
  2. Le livre de Job se réfère au fait d’avoir un même Créateur comme fondement de la défense de certains droits communs : « Ne les a-t-il pas créés comme moi dans le ventre ? Un même Dieu nous forma dans le sein » (Jb31,15). Des siècles plus tard, saint Irénée l’exprimera par l’image de la mélodie : « Celui […] qui aime la vérité ne doit pas se laisser abuser par l’intervalle existant entre les différents sons ni soupçonner l’existence de plusieurs Artistes ou Auteurs, dont l’un aurait disposé les sons aigus, un autre, les sons graves, un autre encore, les sons intermédiaires ».[54]
  3. Dans les traditions juives, le commandement d’aimer et de prendre soin de l’autre semblait se limiter aux relations entre les membres d’une même nation. Le précepte ancien « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv19, 18) était généralement censé se rapporter à des concitoyens. Cependant, surtout dans le judaïsme qui s’est développé hors de la terre d’Israël, les frontières se sont élargies. L’invitation à ne pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent est apparue (cf. Tb4, 15). Le sage Hillel (Ier siècle av. J.-C.) disait à ce sujet : « Voilà la loi et les prophètes ! Tout le reste n’est que commentaire ».[55] Le désir d’imiter les attitudes divines a conduit à surmonter cette tendance à se limiter aux plus proches : « La pitié de l’homme est pour son prochain, mais la pitié du Seigneur est pour toute chair » (Si 18, 13).
  4. Dans le Nouveau Testament, le précepte d’Hillel est exprimé positivement : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Mt7, 12). Cet appel est universel ; il vise à inclure tous les hommes uniquement en raison de la condition humaine de chacun, car le Très-Haut, le Père qui est aux cieux, « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt5, 45). En conséquence, il est demandé : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36).
  5. Il y a une raison pour élargir le cœur de manière à ne pas exclure l’étranger, raison qu’on peut déjà trouver dans les textes les plus anciens de la Bible. Cela est dû au souvenir constant qu’entretient le peuple juif d’avoir vécu comme étranger en Égypte :

« Tu ne molesteras pas l’étranger ni ne l’opprimeras car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d’Egypte » (Ex 22, 20).

« Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Egypte » (Ex 23, 9).

« Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Egypte » (Lv 19, 33-34).

« Lorsque tu vendangeras ta vigne, tu n’iras rien y grappiller ensuite. Ce qui restera sera pour l’étranger, l’orphelin et la veuve. Et tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d’Egypte » (Dt 24, 21-22).

Dans le Nouveau Testament, l’appel à l’amour fraternel retentit avec force :

« Car une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14).

« Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n’y a en lui aucune occasion de chute. Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres » (1 Jn 2, 10-11).

« Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14).

« Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

  1. Même cette proposition d’amour pouvait être mal comprise. Ce n’est pas pour rien que, face à la tentation des premières communautés chrétiennes de créer des groupes fermés et isolés, saint Paul exhortait ses disciples à vivre l’amour entre eux « et envers tous » (1 Th3, 12), et que, dans la communauté de Jean, il était demandé de bien accueillir les frères « bien que ce soient des étrangers » (3 Jn5). Ce contexte aide à comprendre la valeur de la parabole du bon Samaritain : il importe peu à l’amour que le frère blessé soit d’ici ou de là-bas. En effet, c’est l’« amour qui brise les chaînes qui nous isolent et qui nous séparent en jetant des ponts ; un amour qui nous permet de construire une grande famille où nous pouvons tous nous sentir chez nous. […] Un amour qui a saveur de compassion et de dignité ».[56]

L’abandonné

  1. Jésus raconte qu’il y avait un homme blessé, gisant sur le chemin, agressé. Plusieurs sont passés près de lui mais ont fui, ils ne se sont pas arrêtés. C’étaient des personnes occupant des fonctions importantes dans la société, qui n’avaient pas dans leur cœur l’amour du bien commun. Elles n’ont pas été capables de perdre quelques minutes pour assister le blessé ou du moins pour lui chercher de l’aide. Quelqu’un d’autre s’est arrêté, lui a fait le don de la proximité, a personnellement pris soin de lui, a également payé de sa poche et s’est occupé de lui. Surtout, il lui a donné quelque chose que, dans ce monde angoissé, nous thésaurisons tant : il lui a donné son temps. Il avait sûrement ses plans pour meubler cette journée selon ses besoins, ses engagements ou ses souhaits. Mais il a pu tout mettre de côté à la vue du blessé et, sans le connaître, il a trouvé qu’il méritait qu’il lui consacre son temps.
  2. À qui t’identifies-tu ? Cette question est crue, directe et capitale. Parmi ces personnes à qui ressembles-tu ? Nous devons reconnaître la tentation, qui nous guette, de nous désintéresser des autres, surtout des plus faibles. Disons-le, nous avons progressé sur plusieurs plans, mais nous sommes analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement, l’assistance et le soutien aux plus fragiles et aux plus faibles de nos sociétés développées. Nous sommes habitués à regarder ailleurs, à passer outre, à ignorer les situations jusqu’à ce qu’elles nous touchent directement.
  3. Une personne est agressée dans la rue et beaucoup s’enfuient comme s’ils n’avaient rien vu. Souvent, des gens au volant d’une voiture percutent quelqu’un et s’enfuient. L’unique chose qui leur importe, c’est d’éviter des problèmes ; ils se soucient peu de ce qu’un être humain meure par leur faute. Mais ce sont des signes d’un mode de vie répandu qui se manifeste de diverses manières, peut-être plus subtiles. De plus, comme nous sommes tous fort obnubilés par nos propres besoins, voir quelqu’un souffrir nous dérange, nous perturbe, parce que nous ne voulons pas perdre notre temps à régler les problèmes d’autrui. Ce sont les symptômes d’une société qui est malade, parce qu’elle cherche à se construire en tournant le dos à la souffrance.
  4. Mieux vaut ne pas tomber dans cette misère. Regardons le modèle du bon Samaritain. C’est un texte qui nous invite à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social. C’est un appel toujours nouveau, même s’il se présente comme la loi fondamentale de notre être : que la société poursuive la promotion du bien commun et, à partir de cet objectif, reconstruise inlassablement son ordonnancement politique et social, son réseau de relations, son projet humain. Par ses gestes, le bon Samaritain a montré que « notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre ».[57]
  5. Cette parabole est une icône éclairante, capable de mettre en évidence l’option de base que nous devons faire pour reconstruire ce monde qui nous fait mal. Face à tant de douleur, face à tant de blessures, la seule issue, c’est d’être comme le bon Samaritain. Toute autre option conduit soit aux côtés des brigands, soit aux côtés de ceux qui passent outre sans compatir avec la souffrance du blessé gisant sur le chemin. La parabole nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun. En même temps, la parabole nous met en garde contre certaines attitudes de ceux qui ne se soucient que d’eux-mêmes et ne prennent pas en charge les exigences incontournables de la réalité humaine.
  6. Le récit, disons-le clairement, n’offre pas un enseignement sur des idéaux abstraits, ni ne peut être réduit à une leçon de morale éthico-sociale. Il nous révèle une caractéristique essentielle de l’être humain, si souvent oubliée : nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible ; nous ne pouvons laisser personne rester ‘‘en marge de la vie’’. Cela devrait nous indigner au point de nous faire perdre la sérénité, parce que nous aurions été perturbés par la souffrance humaine. C’est cela la dignité !

Une histoire qui se répète

  1. La narration est simple et linéaire, mais elle a toute la dynamique de cette lutte interne qui est menée dans la construction de notre identité, dans chaque existence engagée sur le chemin de la réalisation de la fraternité humaine. Sur la route, nous rencontrons inévitablement l’homme blessé. Aujourd’hui, et de plus en plus, il y a des blessés. L’inclusion ou l’exclusion de la personne en détresse au bord de la route définit tous les projets économiques, politiques, sociaux et religieux. Chaque jour, nous sommes confrontés au choix d’être de bons samaritains ou des voyageurs indifférents qui passent outre. Et si nous étendons notre regard à l’ensemble de notre histoire et au monde de long en large, tous nous sommes ou avons été comme ces personnages : nous avons tous quelque chose d’un homme blessé, quelque chose d’un brigand, quelque chose de ceux qui passent outre et quelque chose du bon Samaritain.
  2. Il est impressionnant que les caractéristiques des personnages du récit changent totalement quand ils sont confrontés à la situation affligeante de l’homme à terre, de l’homme humilié. Il n’y a plus de distinction entre l’habitant de Judée et l’habitant de Samarie, il n’est plus question ni de prêtre ni de marchand ; il y a simplement deux types de personnes : celles qui prennent en charge la douleur et celles qui passent outre ; celles qui se penchent en reconnaissant l’homme à terre et celles qui détournent le regard et accélèrent le pas. En effet, nos multiples masques, nos étiquettes et nos accoutrements tombent : c’est l’heure de vérité ! Allons-nous nous pencher pour toucher et soigner les blessures des autres ? Allons-nous nous pencher pour nous porter les uns les autres sur les épaules ? C’est le défi actuel dont nous ne devons pas avoir peur. En période de crise, le choix devient pressant : nous pourrions dire que dans une telle situation, toute personne qui n’est pas un brigand ou qui ne passe pas outre, ou bien elle est blessée ou bien elle charge un blessé sur ses épaules.
  3. L’histoire du bon Samaritain se répète : il devient de plus en plus évident que la paresse sociale et politique transforme de nombreuses parties de notre monde en un chemin désolé, où les conflits internes et internationaux ainsi que le pillage des ressources créent beaucoup de marginalisés abandonnés au bord de la route. Dans sa parabole, Jésus ne propose pas d’alternatives comme : que serait-il arrivé à cet homme gravement blessé, ou à celui qui l’a aidé, si la colère ou la soif de vengeance avaient gagné leur cœur ? Il se fie au meilleur de l’esprit humain et l’encourage, par la parabole, à adhérer à l’amour, à réintégrer l’homme souffrant et à bâtir une société digne de ce nom.

Les personnages

  1. La parabole commence par une allusion aux brigands. Le point de départ que Jésus présente est une agression déjà consommée. Nous n’avons pas à passer du temps à déplorer le fait ; il n’oriente pas nos regards vers les brigands. Nous les connaissons. Nous avons vu avancer dans le monde les ombres épaisses de l’abandon, de la violence au service d’intérêts mesquins de pouvoir, de cupidité et de clivage. La question pourrait être celle-ci : laisserons-nous gisant à terre l’homme agressé pour courir chacun nous mettre à l’abri de la violence ou pour poursuivre les brigands ? L’homme blessé sera-t-il la justification de nos divisions irréconciliables, de nos indifférences cruelles, de nos affrontements internes ?
  2. La parabole nous fait ensuite poser un regard franc sur ceux qui passent outre. Innocente ou non, cette indifférence redoutable consistant à passer son chemin, fruit du mépris ou d’une triste distraction, fait des personnages du prêtre et du lévite un reflet non moins triste de cette distance qu’on crée pour s’isoler de la réalité. Il existe de nombreuses façons de passer outre qui se complètent : l’une consiste à se replier sur soi-même, à se désintéresser des autres, à être indifférent. Une autre est de ne regarder que dehors. En ce qui concerne cette dernière façon de continuer son chemin, dans certains pays ou milieux, il y a un mépris envers les pauvres et envers leur culture, et un mode de vie caractérisé par le regard dirigé vers l’extérieur, comme si on tentait d’imposer de force un projet de société importé. L’indifférence de certains peut ainsi se justifier, car ceux qui pourraient toucher leur cœur par leurs revendications n’existent tout simplement pas. Ils se trouvent hors de l’horizon de leurs intérêts.
  3. Chez ceux qui passent outre, il y a un détail que nous ne pouvons ignorer : il s’agissait de personnes religieuses. Mieux, ils œuvraient au service du culte de Dieu : un prêtre et un lévite. C’est un avertissement fort : c’est le signe que croire en Dieu et l’adorer ne garantit pas de vivre selon sa volonté. Une personne de foi peut ne pas être fidèle à tout ce que cette foi exige d’elle, et pourtant elle peut se sentir proche de Dieu et penser avoir plus de dignité que les autres. Mais il existe des manières de vivre la foi qui favorisent l’ouverture du cœur aux frères ; et celle-ci sera la garantie d’une authentique ouverture à Dieu. Saint Jean Chrysostome est parvenu à exprimer avec beaucoup de clarté ce défi auquel sont confrontés les chrétiens : « Veux-tu honorer le Corps du Christ ? Ne commence pas par le mépriser quand il est nu. Ne l’honore pas ici [à l’église] avec des étoffes de soie, pour le négliger dehors où il souffre du froid et de la nudité ».[58]Le paradoxe, c’est que parfois ceux qui affirment ne pas croire peuvent accomplir la volonté de Dieu mieux que les croyants.
  4. Les ‘‘brigands de la route’’ ont souvent comme alliés secrets ceux qui ‘‘passent outre en regardant de l’autre côté’’. Le cercle est fermé entre ceux qui utilisent et trompent la société pour la dépouiller et ceux qui croient rester purs dans leur fonction importante, mais en même temps vivent de ce système et de ses ressources. C’est une triste hypocrisie que l’impunité du crime, de l’utilisation d’institutions à des fins personnelles ou corporatives et d’autres maux que nous n’arrivons pas à éliminer aillent de pair avec une disqualification permanente de tout, avec la suspicion constamment semée, source de méfiance et de perplexité ! L’imposture du ‘‘tout va mal’’ a pour réponse ‘‘personne ne peut y remédier’’, ‘‘que puis-je faire ?’’. On alimente ainsi la désillusion et le désespoir, ce qui n’encourage pas un esprit de solidarité et de générosité. Enfoncer un peuple dans le découragement, c’est boucler un cercle pervers parfait : c’est ainsi que procède la dictature invisible des vrais intérêts cachés qui s’emparent des ressources et de la capacité de juger et de penser.
  5. Regardons finalement l’homme blessé. Parfois, nous nous sentons, comme lui, gravement blessés et gisant à terre au bord du chemin. Nous nous sentons aussi troublés par nos institutions désarmées et démunies, ou mises au service des intérêts d’une minorité, de l’intérieur et de l’extérieur. En effet « dans la société globalisée, il y a une manière élégante de tourner le regard de l’autre côté qu’on adopte souvent : sous le couvert du politiquement correct ou des modes idéologiques, on regarde celui qui souffre sans le toucher, on le voit à la télévision en direct, et même on utilise un langage apparemment tolérant et plein d’euphémismes ».[59]

Recommencer

  1. Chaque jour, une nouvelle opportunité s’offre à nous, nous entamons une nouvelle étape. Nous ne devons pas tout attendre de nos gouvernants ; ce serait puéril. Nous disposons d’un espace de coresponsabilité pour pouvoir commencer et générer de nouveaux processus et transformations. Soyons parties prenantes de la réhabilitation et de l’aide aux sociétés blessées. Aujourd’hui, nous nous trouvons face à la grande opportunité de montrer que, par essence, nous sommes frères, l’opportunité d’être d’autres bons samaritains qui prennent sur eux-mêmes la douleur des échecs, au lieu d’accentuer les haines et les ressentiments. Comme pour le voyageur de notre histoire qui passait par hasard, il suffirait juste d’être animé du désir spontané, pur et simple de vouloir constituer un peuple, d’être constant et infatigable dans le travail d’inclure, d’intégrer et de relever celui qui gît à terre ; même si bien des fois nous nous sentons débordés et condamnés à reproduire la logique des violents, de ceux qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes, qui ne répandent que confusion et mensonges. Que d’autres continuent à penser à la politique ou à l’économie pour leurs jeux de pouvoir ! Quant à nous, promouvons le bien et mettons-nous au service du bien !
  2. Il est possible, en commençant par le bas et le niveau initial, de lutter pour ce qui est le plus concret et le plus local, jusqu’à atteindre les confins de la patrie et du monde, avec la même attention que celle du voyageur de Samarie pour chaque blessure de l’homme agressé. Cherchons les autres et assumons la réalité qui est la nôtre sans peur ni de la souffrance ni de l’impuissance, car c’est là que se trouve tout le bien que Dieu a semé dans le cœur de l’être humain. Les difficultés qui semblent énormes sont une opportunité pour grandir et non une excuse à une tristesse inerte qui favorise la soumission. Mais ne le faisons pas seuls, individuellement. Le Samaritain a cherché un hôte qui pouvait prendre soin de cet homme ; nous aussi, nous sommes invités à nous mobiliser et à nous retrouver dans un ‘‘nous’’ qui soit plus fort que la somme de petites individualités. Rappelons-nous que « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ».[60]Renonçons à la mesquinerie et au ressentiment des replis sur soi stériles, des antagonismes sans fin ! Cessons de cacher la souffrance causée par les préjudices et assumons nos crimes, nos discordes et nos mensonges ! La réconciliation réparatrice nous ressuscitera et nous délivrera, aussi bien nous-mêmes que les autres, de la peur.
  3. Le Samaritain en voyage est parti sans attendre ni remerciements ni gratitude. Le dévouement dans le service était sa grande satisfaction devant son Dieu et sa conscience, et donc, un devoir. Nous sommes tous responsables du blessé qui est le peuple lui-même et tous les peuples de la terre. Prenons soin de la fragilité de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, par cette attitude solidaire et attentive, l’attitude de proximité du bon Samaritain.

Le prochain sans frontières

  1. Jésus a proposé cette parabole pour répondre à une question : qui est mon prochain ? Le mot ‘‘prochain’’ dans la société du temps de Jésus indiquait d’ordinaire celui qui était le plus proche, voisin. On considérait que l’aide devait aller en premier lieu à celui qui appartient au même groupe que soi, à sa propre race. Un Samaritain, pour certains Juifs de cette époque, était considéré méprisable et impur, et on ne l’incluait pas parmi les proches qui devaient être aidés. Jésus, juif, transforme complètement cette approche : il ne nous invite pas à nous demander qui est proche de nous, mais à nous faire proches, prochains.
  2. Ce qui est proposé, c’est d’être présent aux côtés de celui qui a besoin d’aide, sans se soucier de savoir s’il fait partie ou non du même cercle d’appartenance. Dans ce cas-ci, c’est le Samaritain qui s’est fait prochedu Juif blessé. Pour se faire proche et présent, il a franchi toutes les barrières culturelles et historiques. La conclusion de Jésus est une requête : « Va, et toi aussi, fais de même » (Lc10, 37). Autrement dit, il nous exhorte à laisser de côté toutes les différences et, face à la souffrance, à devenir proche de toute personne. Donc, je ne dis plus que j’ai des ‘‘prochains’’ que je dois aider, mais plutôt que je me sens appelé à devenir un prochain pour les autres.
  3. Le problème, c’est que, Jésus le souligne intentionnellement, le blessé était un Juif – habitant de Judée – tandis que celui qui s’est arrêté et l’a aidé était un Samaritain – habitant de Samarie –. Ce détail est d’une importance exceptionnelle dans la réflexion sur un amour ouvert à tous. Les Samaritains habitaient une région gagnée par les rites païens, et, aux yeux des Juifs, cela les rendait impurs, détestables, dangereux. De fait, un ancien texte juif qui mentionne les nations détestées se réfère à la Samarie, en affirmant même qu’elle n’est pas une nation (cf. Si50, 25) ; et il poursuit que c’est « le peuple stupide qui demeure à Sichem » (v. 26).
  4. Cela explique pourquoi une Samaritaine, lorsque Jésus lui a demandé à boire, a répondu avec emphase : « Comment ! toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ? » (Jn4, 9). Ceux qui recherchaient des accusations susceptibles de discréditer Jésus, la chose la plus blessante qu’ils aient trouvée, c’était de le qualifier de « possédé » et de « Samaritain » (Jn8, 48). Par conséquent, cette rencontre miséricordieuse entre un Samaritain et un Juif est une interpellation puissante qui s’oppose à toute manipulation idéologique, afin que nous puissions élargir notre cercle pour donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins.

L’interpellation de la part de l’étranger

  1. Enfin, je me souviens que, dans un autre passage de l’Évangile, Jésus dit : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt25, 35). Jésus pouvait prononcer ces mots parce qu’il avait un cœur ouvert faisant siens les drames des autres. Saint Paul exhortait : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure » (Rm12, 15). Lorsque le cœur adopte cette attitude, il est capable de s’identifier à l’autre, peu importe où il est né ou d’où il vient. En entrant dans cette dynamique, il fait finalement l’expérience que les autres sont « sa propre chair » (Is 58, 7).
  2. Pour les chrétiens, les paroles de Jésus ont encore une autre dimension transcendante. Elles impliquent qu’il faut reconnaître le Christ lui-même dans chaque frère abandonné ou exclu (cf. Mt25, 40.45). En réalité, la foi fonde la reconnaissance de l’autre sur des motivations inouïes, car celui qui croit peut parvenir à reconnaître que Dieu aime chaque être humain d’un amour infini et qu’« il lui confère ainsi une dignité infinie ».[61]À cela s’ajoute le fait que nous croyons que le Christ a versé son sang pour tous et pour chacun, raison pour laquelle personne ne se trouve hors de son amour universel. Et si nous allons à la source ultime, c’est-à-dire la vie intime de Dieu, nous voyons une communauté de trois Personnes, origine et modèle parfait de toute vie commune. Sur ce point, il y a des développements théologiques de grande portée. La théologie continue de s’enrichir grâce à la réflexion sur cette grande vérité.
  3. Parfois, je m’étonne que, malgré de telles motivations, il ait fallu si longtemps à l’Église pour condamner avec force l’esclavage et les diverses formes de violence. Aujourd’hui, avec le développement de la spiritualité et de la théologie, nous n’avons plus d’excuses. Cependant, il s’en trouve encore qui semblent se sentir encouragés, ou du moins autorisés, par leur foi à défendre diverses formes de nationalismes, fondés sur le repli sur soi et violents, des attitudes xénophobes, le mépris, voire les mauvais traitements à l’égard de ceux qui sont différents. La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances et aider à réagir rapidement quand elles commencent à s’infiltrer. C’est pourquoi il est important que la catéchèse et la prédication incluent plus directement et clairement le sens social de l’existence, la dimension fraternelle de la spiritualité, la conviction de la dignité inaliénable de chaque personne et les motivations pour aimer et accueillir tout le monde.