Homélie de Monseigneur Centène
Messe chrismale – mardi 7 avril 2020
Mes amis, nous sommes réunis ce matin pour célébrer la messe chrismale qui est un moment essentiel de la vie de l’Eglise. La messe chrismale est un élément de la liturgie du jeudi Saint, jour où nous commémorons l’institution de l’Eucharistie et donc aussi l’institution de tous les sacrements. On l’anticipe au mardi par commodité, parce que le jeudi Saint, les prêtres sont pris dans leur paroisse, et parce que les chrétiens n’iraient pas à la messe deux fois le même jour. Mais en l’anticipant, on lui fait perdre une grande partie de son sens, parce qu’on la détache du Triduum Pascal, qui est l’origine matricielle de la vie chrétienne en général, et de la vie sacramentelle en particulier.
La messe chrismale est la mère de toutes les célébrations liturgiques, la mère de tous les sacrements. Les huiles qui servent au baptême, à la confirmation, à l’ordination, au sacrement des malades, y sont bénies ou consacrées. Les prêtres, qui sont les ministres des sacrements, y renouvellent les promesses de leurs engagements entre les mains de l’évêque. Tous les sacrements qui seront célébrés tout au long de l’année dans le diocèse ont donc leur origine, sont comme enracinés, dans la messe chrismale. Et le peuple de Dieu, qui est constitué et construit par les sacrements qui font son unité, est normalement heureux de participer à cette célébration.
. Aujourd’hui, comme c’est le cas depuis le troisième dimanche de Carême, nous ne pouvons pas nous réunir normalement, librement, pour célébrer, parce que nous sommes confinés. Même les prêtres ne sont pas là. Ils sont représentés par quelques-uns d’entre eux qui renouvelleront les promesses sacerdotales en leur nom : belle image de l’unité du Presbyterium !
Nous le voyons, la crise sanitaire grave que nous traversons a un impact sur la vie de l’Eglise, et nous pouvons légitimement en ressentir une certaine frustration. Beaucoup s’en inquiètent et ont l’impression que la Semaine Sainte n’est pas célébrée, que Pâques ne sera pas célébré. Bien sûr, on peut suivre des offices à la radio, et même les voir sur la chaîne Youtube du diocèse, mais ce n’est pas la même chose.
.L’un d’entre vous m’écrivait avant-hier ne pas pouvoir se contenter de messes virtuelles. Les messes auxquelles vous participez depuis chez vous ne sont pas des messes virtuelles. Est virtuel ce qui n’est pas réel ! Les messes que vous entendez en direct, sont des messes réelles, qui sont réellement célébrées par vos prêtres, qui ont continué à célébrer fidèlement la messe pendant toute cette période. Si vous les regardez en différé, vous regardez le film d’une messe, mais si vous les regardez en direct, vous voyez ce que le prêtre est réellement en train d’accomplir.
Certes, le moyen de la sono de l’église ne suffit pas pour que vous l’entendiez, et il faut un moyen technique supplémentaire et plus performant, qu’est la radio. Certes, vos lunettes ne vous suffisent pas pour voir, et il faut un moyen technique supplémentaire et mieux adapté,
la webcam, mais l’évènement que vous voyez est un évènement réel, auquel vous vous associez par la prière. Même si, au lieu d’être à votre place habituelle derrière le troisième pilier à droite, vous êtes plus loin, je suis en train de célébrer la messe chrismale.
. Lorsque nous réfléchissons à cette épidémie de coronavirus, nous voyons assez facilement les leçons qu’elle donne à la société, les limites qu’elle fait apparaître, les fragilités qu’elle révèle, le coup qu’elle porte aux rêves de toute-puissance de l’homme, et à ses désirs prométhéens. Nous comprenons qu’après, plus rien ne pourra, plus rien de ne devra être comme avant. Nous saisissons les conséquences civilisationnelles qu’il faudra en tirer. Nous avons peut-être beaucoup plus de mal à comprendre en quoi elle interroge l’Eglise. Ce qu’elle remet en cause, dans notre façon de comprendre et de pratiquer la foi. Et c’est normal, on ne critique pas l’Eglise comme on peut critiquer la société, parce qu’on ne critique pas sa mère. Celui qui critiquerait sa mère ne jetterait pas l’opprobre sur sa mère, mais il jetterait l’opprobre sur lui-même, parce qu’un fils bien né, un fils digne de ce nom, ne critique pas sa mère, Dieu ne le veut pas. « Tu honoreras ton père et ta mère. »
Mais cela ne nous empêche pas, mes amis, de nous interroger sur notre pratique, sur l’esprit qui l’anime, sur les priorités que nous nous sommes données, sur les glissements qui se sont peut-être effectués.
Certes, le carême a été marqué par moins de rassemblements, moins de manifestations caritatives, de bols de riz, de courses solidaires. Son impact sociologique a été moins important. Est-ce qu’il a été moins fécond ? Il a eu moins de surface, est-ce qu’il a eu moins de profondeur ? Est-ce que chacun d’entre nous n’a pas vécu le désert ? Est-ce que chacun d’entre nous n’a pas eu l’occasion de se retrouver « seul devant Dieu et devant son propre péché » selon le mot d’Adrienne Von Spyer ?
« Est-ce que le Carême, c’est de faire des tas de choses, ou est-ce que le carême, c’est d’aller au désert avec jésus ? «
Est-ce que chaque baptisé ne peut pas dire, avec Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » ? Est-ce que chaque baptisé n’éprouve pas la présence de Dieu dans son cœur, « plus intime à moi-même que moi-même » comme le disait Saint Augustin ?
.Est-ce que la notion de participation active des fidèles à la liturgie demandée par le Concile, n’a pas été incomprise, dévoyée, superficialisée ? Qui agit dans la liturgie ? Est-elle l’œuvre des hommes ou l’œuvre de Dieu ? Est-ce que ce sont les hommes qui se sauvent par leurs actions, ou est-ce Jésus qui les sauve par l’offrande de son sacrifice ? Est-ce que la messe a moins de valeur ou moins d’utilité pour le Salut du monde parce que je n’y suis pas ? Est-ce que la messe est virtuelle parce que je suis absent ? Est-ce que notre façon de vivre notre foi n’a pas été marquée par un certain pélagianisme, à l’heure où l’homme affirmait sa toute puissance ? Est-ce que ce sont nos actions humaines qui nous sauvent, ou est-ce que nous devons nous laisser sauver par Dieu ? Si ce carême de 2020 nous a permis de nous poser toutes ces questions, dans le secret de notre confinement, mais en Eglise, peut-être alors n’aura –til pas été inutile.
Pour les prêtres aussi, un petit nombre est là mais beaucoup m’entendent, et j’en suis un, et je peux donc parler en mon nom : nous avons dû apprendre à célébrer tout seul mais au nom de tous. Beaucoup de gens, souvent des gens inattendus, nous ont dit « priez pour nous », et ils nous l‘ont dit parfois de façon très émouvante, avec conviction, avec une certaine détresse
dans la voix, et nous avons peut-être mieux compris le rôle d’intercesseur, qui nous a été donné par notre configuration au Christ prêtre, le jour de notre ordination.
Il est écrit au deuxième chapitre du livre de Joël : « Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : pitié Seigneur, pitié pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent » ?. Et c’est ça aussi la charité pastorale.
. L’Evangile nous dit que Jésus en choisit douze pour qu’ils demeurent avec Lui et pour les envoyer prêcher. Aujourd’hui, nous reconnaissons que, bien souvent, nous avons inversé ces deux termes. Nous avons plus prêché que nous ne sommes demeurés avec Jésus. Lorsque nous sortirons du confinement, et de la vie de chartreux qui nous est imposée, nous constaterons que Dieu aura beaucoup plus agit dans les cœurs que nous n’aurions pu le faire nous –même par les meilleures techniques d’évangélisation.
Puissions-nous alors en rendre grâce, et ne pas nous mettre en tête que nous aurons à rattraper le temps perdu.
A nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. AMEN.