Le gouvernement veut imposer une énième réforme des retraites et les Français y sont très majoritairement opposés. Avant de donner quelques appréciations et peut-être quelques pistes, il n’est sans doute pas inutile de jeter un regard dans le rétro !
Créé après la seconde guerre mondiale, dans le cadre des ordonnances d’octobre 1945, le régime des retraites par répartition constitue une des branches de la sécurité sociale créé elle-même par ces ordonnances. Ce fut un moment très important, essentiel, fondateur dans le domaine de la protection sociale.
Au début, l’idée était de créer un système unique pour tous. Cependant, certaines professions et certains organismes ont préféré conserver leur propre régime : c’est l’origine des régimes spéciaux.
Quatre ans après la création du régime général des salariés du privé, les professions indépendantes se dotent de leur propre caisse de retraite : la CNAVPL (Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales) pour les professions libérales ; la Cancava (Caisse nationale de compensation d’assurances vieillesse des artisans) pour les artisans ; l’Organic (Organisation autonome nationale d’assurance vieillesse de l’industrie et du commerce) pour les commerçants et les industriels. Auparavant, en 1947, L’Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) est créée et suit également un fonctionnement par répartition. Ce régime complémentaire, dédié aux cadres, s’ajoute au régime de base de tous les salariés. La différence est qu’il fonctionne en points. Puis, en 1961, L’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco) coordonne la retraite complémentaire pour l’ensemble des salariés du privé – cadres et non-cadres. Les cadres conservent toujours en parallèle une retraite complémentaire à l’Agirc. Comme pour l’Agirc, les pensions Arrco s’ajoutent à la retraite du régime de base et ce régime fonctionne en points. Ces 2 caisses complémentaires ont fusionné en 2019.
En 1971, la réforme Boulin augmente le niveau des retraites servies à 65 ans en faisant passer le montant de la retraite de 40 à 50% du salaire servi pendant les 10 meilleures années, mais augmente très sensiblement le nombre d’annuités (de 30 ans on passe à 37,5 ans de cotisation) et en 1982, François Mitterrand accorde la retraite à 60 ans sous réserve d’avoir cotisé pendant 37,5 ans, c’est sans doute une mesure phare de son septennat avec l’abolition de la peine de mort.
En 1991, le Livre blanc sur les retraites, préfacé par le Premier ministre de l’époque Michel Rocard, pose pour la 1re fois la question des conséquences du vieillissement de la population sur l’équilibre du système de retraite.
Plusieurs pistes de réformes sont proposées : Allongement de la durée de cotisation, allongement de la durée de référence pour le calcul des pensions (au-delà des 10 meilleures années), indexation des pensions sur les prix, création de mécanismes de retraite supplémentaire par capitalisation.
En 1993, la réforme Balladur s’inscrit dans la continuité du « Livre blanc » de 1991 et prévoit notamment pour les salariés du privé: l’allongement progressif de la durée d’assurance requise de 37,5 ans à 40 ans (soit 150 à 160 trimestres) ; le changement du mode de calcul des pensions, dont la période de référence pour le calcul des retraites passe des 10 meilleures années de salaire aux 25 meilleures années ; l’indexation des pensions versées aux retraités sur les prix et non plus sur les salaires ;
En 1999, Le gouvernement Jospin crée leFonds de réserve pour les retraites (FRR). Face au choc démographique du papy-boom, Il vise à assurer la pérennité du régime par répartition. Il est alimenté par une taxe sur les revenus du patrimoine et des placements, et par des dotations exceptionnelles. Sa mission est modifiée lors de la réforme Woerth, aujourd’hui ses actifs s’élèvent à 36 Milliards d’euros et il finance à hauteur de 2,1 milliards /an la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).
En 2003, la réforme Fillon a notamment prévu : l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans (164 trimestres) ; l’alignement de la durée de cotisation du public sur celle du privé ;l’instauration d’un système de surcote pour encourager le report de la date de départ à la retraite.
Une nouvelle réforme, dite réforme Woerth, est mise en place en 2010 et prévoit : l’allongement progressif de la durée d’assurance et un recul de l’âge de départ à 62 ans ; le report à 67 ans de l’âge automatique de la retraite à taux plein ; des restrictions sur les conditions d’accès au dispositif « carrière longue ».
Nouvelle réforme, dite Touraine, en 2014, qui prévoit notamment : l’instauration d’un compte pénibilité permettant de partir plus tôt à la retraite ; un nouvel allongement progressif de la durée d’assurance à 172 trimestres ; l’abaissement de la valeur d’1 trimestre à 150 Smic horaire brut; de nouvelles possibilités de rachat de trimestres; la fin de l’ouverture de nouveaux droits à la retraite (issus des cotisations versées) dans le cadre d’un cumul emploi-retraite.
Toutes ces nombreuses réformes puisent l’essentiel de leurs réflexions dans le livre blanc sur les retraites de 1991 et ont pour ambition de garantir le système par répartition, ont conduit à allonger la durée de cotisation (172 trimestres – 43 ans – pour les personnes nées en 1973 et après), la base de calcul de la retraite (25 meilleures années) et ont tenté d’aligner les conditions du secteur public et des régimes spéciaux sur le privé.
Mais apparemment le but n’a pas été atteint puisque le gouvernement actuel veut à nouveau faire une nouvelle réforme annoncée par Emmanuel macron lors de sa campagne présidentielle. Nouvelle réforme qui fait l’unanimité contre elle de la part des syndicats, – contrairement d’ailleurs à celle du 1er mandat d’Emmanuel Macron soutenu par la CFDT et abandonnée pour cause de COVID – réforme qui rassemble des millions de manifestants contre elle à plusieurs reprises et qui n’arrive pas à trouver une majorité pour la soutenir à l’Assemblée nationale ! Assemblée nationale qui nous montre d’ailleurs un pitoyable visage en ce début d’examen du projet de loi.
Cette réforme a été affublée de beaucoup de qualificatifs : juste, urgente, nécessaire, indispensable…
Pour être juste, elle devrait être unique et réunifier tous les régimes. Est-ce le cas ? Non. Des régimes spéciaux subsistent et celui des sénateurs notamment ! Pour être juste, elle devrait traiter toutes les femmes et tous les hommes de la même façon, à priori ce n’est pas le cas. Pour être juste elle devrait prendre en compte la pénibilité du travail, ce qu’elle ne fait pas encore, ou du moins pas convenablement ; et ce n’est pas en sollicitant la médecine du travail que la bonne solution sera trouvée.
Est-elle urgente ? Selon le dernier rapport de la COR, l’équilibre financier est garanti pour quelques années encore et le déficit à venir serait inférieur à 1% du montant total des retraites versées en France.(314 Milliards en 2022). L’urgence ne saute pas aux yeux, mais reconnaissons que gouverner c’est prévoir et donc anticiper, en notant que la conjoncture n’est nullement favorable (sortie de pandémie, guerre en Ukraine, flambée des prix, etc.)
La nécessité d’adapter le régime actuel me parait cependant inéluctable. Pour garantir le principe des retraites par répartition, c’est-à-dire le paiement des montants versés aux retraités par les actifs, il est indispensable de prendre en compte le rapport actifs / retraités. Il était de 4 il y a 40 ans, il est de 1,7 aujourd’hui et risque d’être voisin de 1 dans quelques décennies ! Alors il faudra être inventif, trouver d’autres modes de financement, mieux valoriser le travail, demander plus aux plus riches, et surtout adapter les fins de carrière, en proposant des postes aménagés, imaginer des dernières années à temps partiel, développer le tutorat, etc. J’entends déjà que c’est compliqué, que les petites entreprises n’y arriveront pas, à cela je réponds : essayons, le jeu en vaut la chandelle et c’est justement parce que c’est difficile qu’il faut réunir les bonnes volontés pour oser des solutions innovantes !
Le passé est connu, l’avenir reste à construire et les retraités acteurs de l’espérance peuvent y participer.
Un retraité, heureux du temps présent qui goûte quotidiennement les bienfaits de la retraite et qui essaie de contribuer au vivre ensemble en privilégiant la rencontre, l’écoute et le dialogue.