Vœux de Monseigneur Centène au diocèse – Samedi 18 janvier 2020 – Maison du Diocèse. . Monsieur le chanoine, cher Bernard, je vous remercie pour les vœux que vous venez de m’adresser et de formuler au nom du Chapitre Cathédral et de tout le diocèse.
Vous avez souligné les difficultés rencontrées en 2019 et vous avez voulu placer 2020 sous le signe de l’espérance, tant il est vrai que » même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or « .
A mon tour de vous présenter mes vœux pour 2020.
Par-delà la forme convenue, bien établie dans les coutumes du diocèse et à laquelle je souscris pour la 15e fois, je voudrais que mes vœux s’enracinent dans ce que vous vivez actuellement et qu’ils puissent rejoindre chacune et chacun d’entre vous dans vos épreuves personnelles et familiales, mais aussi dans vos attentes et vos espoirs.
. Que 2020 vous donne l’occasion d’assumer pleinement ce que la vie vous donne en cherchant sans cesse des chemins de vérité, de confiance et de fraternité. La foi chrétienne éclaire ces chemins pour en faire des lieux d’engagement autant que de croissance et d’épanouissement.
Je ne saurais vous exprimer des vœux de bonne année sans évoquer ce qui se vit actuellement dans notre société.
Depuis des mois nous traversons de fortes tensions sociales. Les rues, désertées par les gilets jaunes, se sont peuplées de manifestant inquiets pour l’avenir de leurs retraites, tandis que l’avenir de la planète fait peser un lourd nuage d’incertitude. Il semble parfois que nous sommes devenus incapables de nous rencontrer, de nous parler, de nous entendre : permanences syndicales envahies, ministre empêché de présenter ses vœux, président de la République conspué au théâtre. Si des solidarités se forment, c’est le plus souvent sur la base d’intérêts particuliers, sur un socle idéologique ou communautariste qui mettent à mal le bien commun et accentuent la fragmentation de notre société.
Il y a déjà bien longtemps que l’on parle de » fracture sociale « mais le fossé semble s’élargir toujours davantage entre ceux qui réussissent et vivent bien et ceux qui se trouvent relégués aux marges, rongés par le sentiment d’être abandonnés et oubliés, sentiments de rancœur, d’amertume, d’injustice qui gangrènent le corps social tout entier.
Dans son message pour la journée mondiale de la paix, le Saint-Père nous met en garde : « La fracture entre les membres d’une société, l’accroissement des inégalités sociales et le refus d’utiliser les instruments en vue d’un développement humain intégral mettent en péril la poursuite du bien commun ».
Du fait de la mondialisation de l’économie et de la globalisation des problèmes qu’elle implique, ce que nous constatons chez nous n’est que le reflet d’une crise qui frappe tout à la fois l’humanité et la planète.
C’est la même volonté de domination, le même souhait d’enrichissement, le même désir de se faire Dieu à la place de Dieu qui ont entrainé la dérégulation de l’économie et le dérèglement écologique. Le rêve chimérique de Toute Puissance semble aujourd’hui rendu à portée de main par les progrès scientifiques et technologiques, si bien que chacun ne veut suivre que la loi qu’il se donne, repoussant toujours plus loin les limites.
Quand nous savons nous inscrire dans le temps long de l’histoire, nous pouvons pressentir où cela conduit. Du péché originel au déluge, en passant par la Tour de Babel, l’Histoire Sainte est riche d’exemples éclairants qui nous montrent que, plusieurs fois déjà, l’humain s’est retrouvé dans une impasse.
Aujourd’hui des voix s’élèvent qui nous donnent à croire que l’homme étant le principal responsable de la crise écologique, il faut voir en lui le prédateur du monde et qu’il faut souhaiter sa disparition. Les antispécistes nous présentent une vision du monde qui réduit l’homme au rang d’un animal indistinct des autres, plus dangereux que les autres, dont la seule spécificité serait une capacité de nuisance supérieure. A travers cela, plus encore que la modernité, ce serait la conception judéo-chrétienne du monde qui serait mise en cause. Se référant au premier chapitre de la Genèse : « Emplissez la terre et soumettez-la », ils imaginent que le texte sacré a donné à l’homme un blanc-seing pour agir à sa guise contre le reste de la nature. Ils oublient que le deuxième chapitre de la Genèse explicite et définit le sens qu’il faut donner au verbe soumettre : « Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder ».
. Ils oublient que le Dieu qui se révèle au Peuple hébreux est le Dieu de l’Alliance. La première est l’alliance avec Noé : ce n’est pas seulement une alliance avec l’humanité sauvée du déluge, c’est une alliance avec » tous les êtres animés, oiseaux, bestiaux « que Dieu a chargé l’homme de sauver avec lui. Aussi, parler de l’alliance en passant sous silence les plantes, les animaux, la nature tout entière, c’est limiter notre regard et étriquer notre foi. Les humains que nous sommes sont appelés à respecter ce monde que Dieu a créé.
Ce n’est pas la conception judéo-chrétienne de l’homme et du monde mais le père de la philosophie moderne, Descartes, qui le premier a considéré l’animal comme une machine, là où le monde médiéval voyait en lui un allié doué non seulement de sensibilité, mais aussi d’une sorte de sagesse qui allait jusqu’à s’exprimer par la parole dans les fabliaux du Moyen-Age.
Dans son encyclique Laudato Si, le Saint-Père écrit que « la violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants »1. Refusant de ne considérer que les symptômes, le Pape nous invite à rechercher les causes profondes d’une telle situation afin de pouvoir « proposer une écologie qui, dans ses différentes dimensions, incorpore la place spécifique de l’être humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure »2.
« Tout est lié ». François utilise cette expression comme un refrain tout au long de Laudato Si. « Paix, justice et sauvegarde de la création sont trois thèmes absolument liés qui ne pourront être mis à part ou traités séparément »3. « Tout est lié. Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère pour les êtres humains et à un engagement constant pour les problèmes de société »4.
Parce que tout est lié, l’espérance de surmonter la crise actuelle ne peut reposer que sur une redécouverte et un approfondissement de l’Alliance. C’est en ce sens que le Saint-Père appelle à une véritable conversion : « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous »5.
C’est ce vœu de conversion que je formule en ce début d’année. Nous avons célébré l’an dernier, le chanoine Théraud nous l’a rappelé, le jubilé de saint Vincent Ferrier qui a proclamé l’urgence de la conversion. La conversion est nécessaire à toutes les époques et dans toutes et chacune de nos vies. Mais il y a des moments où nous en percevons la nécessité jusqu’à l’angoisse parce que nous comprenons qu’elle devient inéluctable.
« La crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure »6.
Pour vivre notre relation aux autres et à la nature, à l’environnement, de manière apaisée et constructive, il nous faut entrer, rentrer dans l’Alliance avec Dieu, nous tourner vers Lui, Lui dire avec le psalmiste : « Jamais plus nous irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom »7. Nous ne pourrons ordonner chaque chose à sa place dans l’harmonie d’une alliance renouvelée que lorsque nous aurons rendu, dans notre vie personnelle et collective, à Dieu, la place qui revient. L’étude de l’art roman, dans sa noble et indépassable simplicité, nous aide à comprendre que la solidité vient du haut. C’est la transcendance de la clef de voûte qui assure la stabilité de l’édifice en équilibrant la poussée des forces contraires. Lorsque dans notre organisme les cellules ne tournent plus autour de leur noyau, le cancer généralisé nous guette.
Comme l’écrivait Vauvenargues, « l’homme n’est ce qu’il doit être que dans la mesure où il est ordonné à Dieu ». Ce n’est qu’en se tournant vers Dieu que l’homme peut trouver sa vraie place dans la Création, celle du cultivateur et du gardien.
Ce n’est que dans le cadre contingent qui est le sien que l’homme peut trouver la liberté véritable.
Le bourgeon que la bourrasque détache de la branche, qui la porte et qui croirait éprouver un sentiment grisant de liberté dans le bref instant qui le sépare du sol où il va se dessécher est comparable à l’homme qui regarde son propre nombril au lieu de regarder vers Dieu. L’homme n’est vivant et libre que dans le milieu divin qui est le sien. Cette prise de conscience est le premier acte de la conversion écologique intégrale.
Parce qu’elle nous donne notre propre place par rapport à Dieu, à sa transcendance, à son dessein d’amour sur le monde, à notre environnement, la conversion nous donne notre propre place par rapport à nous-même, à l’humain que nous sommes et à tous les humains.
Habitués depuis Descartes à considérer l’animal comme une machine, nous avons transformé en machine l’être humain lui-même. D’abord sur le plan économique en ne le considérant plus que comme un rouage du système, capable de produire et de consommer, de consommer pour produire plus, de produire plus pour consommer davantage, en l’enfermant dans l’enfer kafkaïen d’un cercle vicieux auquel il est incapable de s’arracher par lui-même. Les progrès technologiques aidant, l’humain est devenu une machine dont on peut remplacer les pièces, ouvrant par là des marchés nouveaux dont les contours éthiques sont indéfinis. On imagine même, et de fait on peut, le programmer dans une perspective eugéniste ou même le reprogrammer selon ses désirs individuels, sa dignité transcendante ayant disparu. C’est tout l’enjeu des nouvelles lois bioéthiques.
Après avoir commencé à détruire la planète, allons-nous défigurer notre humanité ? Comment se fait-il que notre société, devenue soucieuse à juste titre du respect de l’écologie pour la planète, le soit si peu quand il s’agit de l’humanité ?
On perçoit aujourd’hui, avec cent ans de retard, le danger que la surexploitation fait courir à la planète et à l’environnement. Faudra-t-il attendre cent ans de plus pour percevoir les dangers que nous faisons courir à l’humanité elle-même ?
La conversion nous tourne vers les autres humains et surtout vers les plus pauvres. La clameur de la terre et la clameur des pauvres sont indissociables car la détérioration de l’environnement et celle de la société affectent d’une manière spéciale les plus faibles. La résolution de la crise écologique passe par la construction d’une nouvelle fraternité.
Voilà en quelques mot, trop longs sans doute, dans le contexte dans lequel doit se déployer l’espérance dont nous parlait le Père Théraud au début de cette cérémonie, cette espérance n’est pas un simple espoir que les chrétiens porteraient dans leur cœur, comme on espère le beau temps après la pluie, et la pluie après la sécheresse.
C’est une espérance mobilisatrice qui nous engage à œuvrer pour la paix dans notre société et dans le monde. Cela suppose « d’abandonner le désir de dominer les autres et d’apprendre à les considérer comme des personnes, comme des enfants de Dieu, comme des frères … l’autre doit être considéré selon les promesses qu’il porte en lui »8.
C’est le vœu que je formule pour vous en ce début d’année. Que le Seigneur nous donne la grâce de concevoir ce qui est juste et la force de l’accomplir. C’est ainsi que 2020 sera l’année bonne, l’année heureuse, l’année sainte que je vous souhaite à tous et à chacun.